Chemsex : entre intensité, vulnérabilité, et quête de sens

On en parle de plus en plus : dans les médias, dans les associations, parfois même en cabinet. Le chemsex, contraction de chemical et sex, désigne le fait d’associer des substances psychoactives à une activité sexuelle.

Pour certains, c’est une expérience de liberté et de plaisir décuplé. Pour d’autres, c’est une dérive qu’ils ne savent plus contrôler. Mais pour beaucoup, c’est surtout une façon d’essayer de se reconnecter à soi ou à l’autre. Et c’est là tout l’enjeu : comprendre ce que ces pratiques disent de notre rapport au corps, au désir, et au lien.

De quoi parle-t-on exactement ?

Le chemsex ne se résume pas à une seule pratique, ni à un seul profil. Il englobe différents usages :

  • Des stimulants (comme la cocaïne ou la méthamphétamine) pour augmenter l’énergie, la confiance, ou l’endurance.
  • Des dépresseurs (comme le GHB ou le GBL) pour se désinhiber, s’abandonner, « oublier un peu ».
  • Des dissociatifs (comme la kétamine) pour flotter, sortir du contrôle.
  • Et parfois, des substances plus banales (comme le poppers), utilisés pour amplifier les sensations, relâcher les muscles, et désinhiber le mental.

Toutes ces pratiques ne relèvent pas du « chemsex problématique ». Certaines sont occasionnelles, ritualisées, vécues sans conséquences. Mais dans certains cas, elles deviennent un refuge, une compulsion, ou une forme d’anesthésie émotionnelle.

Le poppers : entre banalisation et symbole

Parlons-en justement.

Le poppers, petit flacon souvent associé aux soirées festives, est parfois la première rencontre entre le corps, la chimie et la recherche de liberté. Son effet est rapide : chaleur, euphorie, relâchement, désinhibition. Il facilite le lâcher-prise physique… et parfois mental. C’est souvent le symbole d’une époque : celle où le plaisir a besoin d’un petit coup de pouce pour s’autoriser. En consultation, j’entends souvent : « sans poppers, je n’arrive pas à me détendre », « avec, je me sens enfin moi-même ». Le produit devient alors un médiateur : il ouvre la porte à une forme de liberté que la personne n’ose pas toujours s’accorder sans aide extérieure.

Pourquoi certaines personnes s’y tournent

Les raisons sont multiples, et loin d’être simplistes. Le chemsex n’est pas une « folie », c’est souvent une tentative de réparation.

  • Pour se désinhiber. Certaines personnes y trouvent une échappatoire à la honte, à la peur du rejet, ou au poids du regard.
  • Pour intensifier le plaisir. Les sensations sont plus fortes, les barrières plus floues.
  • Pour appartenir. Dans certains milieux, le chemsex est aussi un moyen d’être inclus, reconnu, de « faire partie du groupe ».
  • Pour se reconnecter. Derrière l’excitation, il y a souvent un besoin profond de lien, d’émotion, de tendresse, parfois exprimé autrement.

Le sociologue Kane Race (2018) parle du chemsex comme d’un « laboratoire du corps contemporain » : un lieu où l’on cherche à exister autrement, entre contrôle et abandon.

Ce que j’entends en cabinet

En thérapie, le chemsex n’est presque jamais le point de départ. Il apparaît entre deux phrases, timidement : « c’est juste de temps en temps, pour être plus à l’aise », « je crois que je ne ressens plus grand chose sans ». Derrière ces confidences, il y a rarement une « addiction » au sens strict. Il y a surtout une quête d’intensité : le besoin de sentir, de vibrer, de se reconnecter à un corps parfois anesthésié par la peur, la solitude, ou la performance. Certains décrivent le chemsex comme une bulle d’euphorie, suivie d’un grand vide. D’autres comme un espace d’exploration où ils se sont découverts différemment. Mon rôle n’est pas de trancher entre « bien » et « mal ». Il est d’écouter ce que cela vient dire.

Comment j’accompagne ces parcours

En sexothérapie, on travaille toujours à partir du vécu, jamais contre lui. Le chemsex n’est pas un « trouble » à éradiquer, mais une expérience à comprendre. Mon accompagnement s’articule autour de plusieurs axes :

  • Mettre des mots. Offrir un espace où l’on peut parler librement, sans honte ni peur d’être réduit à une étiquette.
  • Identifier la fonction. Qu’est-ce que cette pratique permet ? De quoi protège-t-elle ? Que vient-elle nourrir ?
  • Retrouver le lien au corps. Apprendre à ressentir sans avoir besoin de « plus fort », à retrouver du plaisir sans se dépasser.
  • Travailler la sécurité. En parler, c’est déjà se reconnecter à soi, et sortir de la logique de secret, de risque, ou de double vie.

Et quand le chemsex impacte le couple, le travail se fait sur la communication, la confiance et la compréhension mutuelle. Ni condamnation, ni complaisance : juste l’envie de remettre du sens et de l’écoute là où il n’y en a plus.

Le chemsex comme miroir de notre rapport au plaisir

Parler de chemsex, c’est parler de notre société : celle du toujours plus, du tout de suite, du « sans faille ». Mais c’est aussi parler d’humains qui cherchent à ressentir, à aimer, à se dépasser ou à se réparer. Le chemsex n’est pas qu’une pratique : c’est une manière de poser une question essentielle « Pourquoi ai-je besoin d’autre chose pour me sentir libre, ou vivant ? ». Et c’est souvent à partir de cette question là que le travail thérapeutique commence.

Le chemsex ne définit pas une personne, ni un couple. Il révèle un besoin, une tension, parfois une blessure. Plutôt que d’y voir un danger, il est souvent plus fécond d’y voir une tentative : celle de se reconnecter à soi, différemment. Et la thérapie, dans ce cadre, n’est pas là pour « corriger », mais pour accompagner vers plus de liberté intérieure.

Vous souhaitez parler de votre rapport au plaisir, au corps, ou à certaines pratiques sans tabou ?

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